Concepts chinois et occidentaux de la beauté: une comparaison
Dans son ouvrage, Cette étrange idée du beau, François Jullien, philosophe et sinologue, s’interroge sur l’idée du beau tel qu’envisagé en Occident et en Chine. Succinctement, il en ressort que selon les textes chinois anciens (Mi Fu au XIe siècle; Fang Xun au XVIIIe siècle ), l’admiration devant les tableaux qu’ils collectionnent s’exprime par une oscillation du « séduisant » à la « dimension d’esprit » à laquelle accède l’art parvenu à son sommet. Aucun terme n’y prédomine, tel « le beau ».
Les binômes et le dynamisme des opposés.
L’appréciation est exprimée par des binômes dont les deux termes s’accordent par un délicat équilibrage pour décrire cette tension vers la perfection: souple et dur, yin-yang, limpide-joli, florissant-onctueux… « Le champ qualitatif reste parcouru d’aimantations diverses; il ne se laisse pas ordonner selon quelque perspective unique. » (p.31).
Il rappelle qu’en Occident, le beau fut l’entonnoir de notre perception préférentielle ainsi que la valorisation de son objet alors que les Chinois retiennent des traits spécifiques qui catégorisent sans pour autant tout englober. Ils maintiennent ainsi l’interaction à l’oeuvre, tel le mouvement du yin et du yang.
Or, qu’est-ce qui résiste, en Chine à ce règne du beau, s’interroge Jullien? La formulation chinoise « nous tient branchés sur ce dynamisme qui ne cesse d’animer le monde et de le déployer ». François Cheng (voir ce thème) parlera de l’action du souffle créateur dans le vide médian tant en poésie chinoise qu’en art que dans la calligraphie.
Fermeture du « beau » occidental.
Jullien se demande « si « beau » ne serait pas une appellation trop facile, un label appliqué après coup et devenu contemplatif qui nous coupe du processus, de ce « çà et là » surgissant des choses, (…) organisant à l’infini leurs jeux de polarité? » Il rappelle que « chose » en chinois s’exprime par une corrélation « est-ouest » (dong-xi) tout comme paysage « montagnes-eaux » (haut et bas shan-shui). Alors que « beau » nous place devant un résultat fini oublieux de son processus et débranché des interactions vitales: isolé sur son piédestal.
Voir François Jullien, Cette étrange idée du beau. Chantiers, II. Grasset, 2010.
Voir également le thème « François Cheng » de ce site.