La beauté comme rencontre. François Cheng

Dans son ouvrage « Cinq méditations sur la beauté« , François Cheng, poète, historien de l’art, écrivain et essayiste nous entretient sur la beauté et nous rappelle qu’elle est rencontre. Rencontre de l’âme avec l’univers vivant, rencontre du visible avec l’invisible, de l’immanence et de la transcendance, rencontre du fini avec l’infini. « Relevant de l’être et non de l’avoir, la vraie beauté ne saurait être définie comme moyen ou instrument. Par essence, elle est une manière d’être, un état d’existence. » « La sensation ne saurait se limiter à son niveau sensoriel, et la beauté est bien cette potentialité et cette virtualité vers lesquelles tend tout être. »

 

Le yi

YI« (…) Du mot français « sens », nous glissons vers un caractère chinois qui lui est équivalent, sinon en plus riche, le caractère yi. À sa base, l’idéogramme yi désigne ce qui vient de la profondeur d’un être, l’élan, le désir, l’intention, l’inclination. Il se combine avec d’autres caractères mais les surplombant tous yi-jing signifie « état supérieur de l’esprit, dimension suprême de l’âme ». Cette dernière notion est devenue en Chine le critère le plus important pour juger de la valeur d’une oeuvre poétique ou picturale. D’après sa définition, on voit qu’elle a trait aussi bien à l’esprit qu’à l’âme. Ceux de l’artiste qui a créé l’oeuvre, certes, mais également ceux de l’univers vivant, un univers qui se fait, qui se crée…  (…) selon l’optique chinoise, une oeuvre créée, celle d’un individu, ou l’univers vivant en tant qu’oeuvre, procède certes de la forme, mais ô combien aussi du yi.

C’est dans la mesure où le yi, dans une oeuvre particulière, atteint son plus haut degré, jusqu’à résonner en harmonie avec le yi universel, que cette oeuvre acquiert sa valeur de plénitude et de beauté. Le yi-jing en question, outre son sens d' »état supérieur de l’esprit, dimension suprême de l’âme », signifie alors « accord, entente, communion ». Aux yeux d’un Chinois, la beauté d’une chose réside donc dans son yi , cette essence invisible qui la meut. C’est le yi qui est sa saveur infinie, qui n’en finit pas de susciter parfum et résonance. »

« Pour les Chinois, la beauté est ternaire : la vraie beauté- celle qui advient et se révèle, qui est un apparaître-là touchant soudain l’âme de celui qui la capte- résulte de la rencontre de deux êtres, ou de l’esprit humain avec l’univers vivant. Et l’œuvre de beauté, toujours née d’un « entre » est un trois, qui, jailli du deux en interaction, permet au deux de se dépasser. Si transcendance il y a, elle est dans ce dépassement. » (p. 146) Et en cela,  François Jullien, philosophe et sinologue français le rejoint dans son explication de la beauté en Chine en regard de celle de l’Occident (voir François Jullien sur ce site).

François Cheng, Cinq méditations sur la beauté. Albin Michel, 2008.

 

La beauté spirituelle de l’univers

Dans « Oeil ouvert et coeur battant. Comment envisager et dévisager la beauté. », François Cheng revient sur ce thème qui lui est fondamental. En voici quelques extraits.

« L’art , en son état suprême, est une parcelle de cette beauté à la fois charnelle et spirituelle de l’univers vivant révélé par une âme humaine. C’est l’âme humaine qui entre en résonance avec quelque chose de pur, de grand, de sacré  (voir aussi le thème Du spirituel dans l’art sur ce site).

(…) Il y a à la base de toute grande œuvre une vision profonde que possède l’artiste. Cette vision, il ne l’atteint qu’en ayant maîtrisé les données sensibles du monde extérieur, ainsi que les ressources cachées de son monde intérieur, y compris les pulsions obscures. C’est le mariage des deux lumières, extérieure et intérieure, conquises de haute lutte, qui donne une authentique valeur à la création artistique dont le propos n’est pas seulement de figurer mais de transfigurer.

En parlant de Cézanne, « il sait que plus il se fait vide, plus il est à même de se laisser habiter par une immense chose qui le dépasse. »

(…) Il faut sauver les beautés offertes et nous serons sauvés avec elles. Pour cela, il nous faut, à l’instar des artistes, nous mettre dans une posture d’accueil, où alors, à l’instar des saints, dans une posture de prière, ménager constamment en nous un espace vide fait d’attente attentive, une ouverture faite d’empathie d’où nous serons en état de ne plus négliger, de ne plus gaspiller, mais de repérer ce qui advient d’inattendu et d’inespéré.  »

 

Conférence de François Cheng au Collège des Bernardins à Paris.

François Cheng : Envisager et dévisager la beauté par College des Bernardins

 

Discours de F.Cheng à l’Académie française

Évoquant Confucius, qui se lamentait justement de ce que la vertu, mal comprise, souvent ennuie, François Cheng nous rapporte la formule célèbre de Confucius. Extrait de son discours à l’Académie: « L’homme de cœur se plaît à la montagne, l’homme d’intelligence affectionne l’eau ». Ailleurs, il a comparé la vertu d’un homme de bien à la figure d’un haut pin, en disant : « C’est dans la rigueur de l’hiver qu’on voit la qualité du pin, demeuré toujours vigoureux et vert ». À partir de là, il est né une longue tradition dans laquelle les lettrés, à la fois poètes et peintres, exaltent certaines plantes dont les beautés variées, pleines de séduction, incarnent certaines vertus spécifiques de l’homme. C’est avec quatre plantes, particulièrement célébrées par les lettrés chinois, le bambou, l’orchidée, le prunus et le lotus , appelées les « Quatre êtres supérieurs » ou les « Quatre Excellences », que François Cheng nous révèle le sens du mot vertu, dans la culture chinoise, celui d’un agir efficace. ( Canal Académie)

 

Sur Cheng. Émission du Canal Académie

Au coeur de l’ouvrage, l’évolution de la beauté comme expérience, est ici mise en perspective avec une autre réalité, celle du « mal » qui fait face. Que signifie l’existence de la beauté pour notre propre existence ? Qu’est-ce qui rend possible la beauté ? Qu’est-ce que la vraie beauté ? François Cheng nous parle de la « beauté-bonté » rappelant que chaque être humain est unique, nous livrant aussi la jolie formule « d’unicité d’instant ». Chacun peut faire l’expérience de la beauté. Pour lui, la beauté est toujours un advenir. Dans l’amour comme dans la beauté, tout vrai regard est un regard croisé. La beauté attire la beauté. Au fil des pages sont convoqués avec finesse les grands noms de la pensée chinoise, de la philosophie française, allemande, de la poésie, de la musique et de la peinture : Paul Claudel, Bergson, Kant, Confucius, Laozi, Beethoven, Léonard de Vinci ou Cézanne, pour ne citer que quelques noms. (Canal Académie)