LE VIF DE LA VIE. Jeanne Benameur

« Les quatre doutaient. Mais ils luttaient, il le savait. Et c’est pour cela qu’il les avait choisis. Il pense « la lutte sacrée ». J’ai besoin d’autres être humains, comme moi, doutant, s’égarant, pour m’approcher de ce que c’est que la vie.« 

Née en 1952 en Algérie d’un père tunisien et d’une mère italienne, Jeanne Benameur arrive en France, avec sa famille, à l’âge de cinq ans.

Romancière et poète, Jeanne Benameur manie les mots et nous emporte au vif de la vie, en cet espace où le doute et la puissance d’action se confrontent subtilement, parfois dans un murmure hors du temps. Une écriture concise, simple mais profonde où la connaissance de l’humain est réelle, sentie et porteuse. Elle aborde l’exil, les recommencements, la vie, la mort, les liens brisés et ceux qui se nouent et se tissent parfois à notre insu, l’incarné et l’invisible. Un univers à lire et relire. Des moments de grâce comme collier de perles.

EXTRAITS

« Octave ferme les yeux. Chez chacun des quatre, il a flairé le terreau de l’histoire. Quelque chose qui pourrait l’éclairer. Chez chacun d’eux, la lutte solitaire pour la vie. Et aucune religion à laquelle se raccrocher. C’était la question commune à chaque entretien. La plus importante. Quel rapport entretenaient-ils avec la foi, la religion? Aucun des quatre n’avait la foi domptée par la religion. Les quatre doutaient. Mais ils luttaient, il le savait. Et c’est pour cela qu’il les avait choisis.

Il pense « la lutte sacrée ».

(…) J’ai besoin d’autres être humains, comme moi, doutant, s’égarant, pour m’approcher de ce que c’est que la vie. (in Profanes, p. 59)

Toutes les années de solitude l’ont laissé sur la route blanche et ils ne sont pas trop de quatre pour avancer avec lui. Il pense à l’étymologie du mot profane: celui qui est devant le temple. Il est ce profane. Ils sont ces profanes. Au coeur de chacune de leurs vies, le temple. Vif. Le seul sacré qu’il connaisse. Cette vie qui vibre et échappe à chaque pas. C’est à ça et seulement à ça qu’il s’est voué, toute son existence. (idem p. 64)

Il cogne du front contre la nuit.

Il ouvre les yeux. Les étoiles au-dessus de sa tête sont mortes depuis longtemps. Pourtant, la beauté est là. Quand même. (…) Mais la beauté? Ce que provoque en lui ce scintillement-là dans tout le noir, quel chiffre peut le mesurer? C’est dans les mots qu’il faudrait chercher un passage.

Dans le silence entre les mots justes.

C’est là qu’il y aurait une prière. Peut-être. Il faudrait inventer. (idem p. 85)

Et il était libre. La liberté, ça ne se compte pas au nombre d’heures qu’on passe à travailler ou à faire quoique ce soit, non. C’était ce sentiment, fort, de ne plus appartenir à qui que ce soit. Juste être un humain parmi les humains, pour eux, avec eux, sans hiatus. Être à sa place. Et oeuvrer, l’esprit libre.

Relié à tous. Attaché à aucun. (p. 110)

Ce n’est pas la mort qui m’intéresse, c’est la vie. Le sacré, c’est ce qui relie les deux. J’ai vu comment on pouvait faire du mort avec du vivant, ça oui, c’est facile, mais l’inverse, le lien dans l’autre sens, je n’ai jamais trouvé. Comment faire du vivant avec du mort?  (idem p. 112)

 … À l’intérieur de moi, quelque chose s’est agrandi. L’histoire d’amour maintenant, elle est avec le monde. Les autres. Tous les autres. Ma façon d’aimer c’est travailler à perfectionner cet outil que je suis, qui capte tout et tente de partager avec les autres l’émotion du monde qui est la mienne.Comment faire entrer l’amour pour un seul être humain dans ce qui bat si vaste? comment ne pas avoir le sentiment de se réduire? (…) l’amour n’est pas là pour rassurer. L’amour ne rassure de rien, n’empêche rien. Aimer ne donne aucune protection. Aucune.Il faut éprouver la confiance.C’est le plus difficile.  (idem p. 189)

 Il y a sous la peau des mémoires inquiètes.Les caresses ne les chassent pas, ne les effacent pas.Les mémoires inquiètes sont toujours présentes. Mais elles palpitent.Dans les corps de Yolande et Marc, il y a des mondes qui s’effritent. Rien ne disparaît. Tout s’atomise. Les particules sont soulevées, envolées par la jouïssance pleine. (idem p.234)

Chez Actes Sud : Profanes (2013, grand prix du roman RTL/Lire), Otages intimes (2015, prix Version Femina 2015, prix Libraires en Seine 2016), L’Enfant qui (2017), et plus récemment, Ceux qui partent (2019, prix des Lecteurs de Corse 2020) et la Patience des traces.