Il s’aperçut que sa chair était faite de pierre vive. De pietra viva. Léonor De Récondo
« Andrea, tu es la beauté mortelle à l’état pur. J’aimerais que ta peau devienne pierre. Le seul élément que je maîtrise. » p. 74
« Michelangelo range le livre de Pétrarque dans sa besace, puis le ressort aussitôt pour y déposer un baiser et lire la phrase. Il ne l’oublie pas et, en descendant l’escalier qui mène à la grande salle de l’auberge, il la répète encore. La vie, la mort, le jour, la nuit. Il ajouterait le grain de la peau en marbre et l’ombre au creux des membres pliés. La pierre lisse et la lumière qui s’y réverbère. » p. 23.
… « Les tailleurs de pierre riaient de voir cet enfant de la ville, si prompt à les suivre dans la poussière, s’y frotter avec autant de plaisir. Voyant que les adultes ne lui prêtaient pas volontiers leurs ciseaux, il commença à dessiner tout ce qu’il voyait. Et les tailleurs cessèrent de rire tant le talent de l’enfant dépassait l’entendement. Certains prétendirent même que le diable y était pour quelque chose. Mais Michelangelo ne les écoutait déjà plus. Un chemin lumineux et sanguin s’était ouvert en lui et il s’était promis de le suivre toute sa vie.
Sa nourrice portait en elle assez d’amour pour lui faire croire qu’il n’avait rien à craindre et que, si cette voie-là était la sienne, il ne faillait pas la laisser s’échapper. Pour cela il devait accomplir une chose : oublier les autres et plonger en lui-même. Elle avait employé ces termes. Et quand, la tête la première, il plongea dans son magma intérieur, il s’aperçut que sa chair était faite de pierre vive. De pietra viva. » p.61
« Michelangelo reste seul. La pluie est toujours battante. La clairvoyance de son ami le plonge un peu plus profondément dans sa pietra viva. Il se sent captif de cette pierre, de ses pensées et de ses sentiments obscurs. Il voudrait pouvoir s’en extraire pour retrouver l’insouciance, mais il est lesté.
Et, soudain, il imagine un homme prisonnier d’un bloc. Un personnage qui hésiterait entre sortir du marbre ou y rester et qui, troublé par la dualité de ses sentiments, aurait le visage inondé de souffrance et de plaisir. » p. 67
« Tu vois, il me faut beaucoup de marbres et je dois les choisir en sachant à quelle partie ils correspondent.
-Comment fais-tu ?
Michelangelo regarde l’enfant et lui répond d’un ton fourbe :
« Je vois tout ce qui se cache à l’intérieur des pierres.
-C’est vrai ? Tu me montreras quand on sera en haut !
Une fois arrivé, Michelangelo se prête à l’exercice.
(…)
« Ceux que tu vois là-bas sont pour la statuaire. À l’intérieur, il n’y a pas de veines, je le sais. À leur forme, je peux voir les personnages qui s’y cachent.
Michele lui en montre un :
« Dans celui-là, il y a quoi ?
-Un homme qui se tord pour essayer de se dégager du marbre. Avec mon ciseau, j’enlève peu à peu la pierre. Je me rapproche de lui jusqu’à ce qu’il puisse en sortir.
-Mais alors, la montagne est pleine de personnages qui attendent ? » p. 156
Léonor De Récondo, née en 1976, violoniste baroque, a enregistré une quinzaine de disques. En 2005, avec Cyril Auvity (ténor), elle fonde l’Ensemble Yriade. Elle publie chez Sabine Wespieser son premier roman en 2010 et en janvier 2019 paraissait Manifesto qui renouait avec la veine autobiographique de Rêves oubliés publié en 2012.
Manifesto. Leonor De Récondo à La Grande Librarie. 2019
« On agrandit l’âme de ceux qui nous aiment. »
Lecture musicale. Voix nues. Léonor De Récondo et Claire Lefilliâtre à Station Ausone, Librarie Mollat Bordeaux. 2018
Ensemble L’Yriade. 2015